Eka et Natia...

Chronique d'une jeunesse géorgienne.

En Géorgie, dans les cendres encore fumantes de l'URSS, alors que la guerre d'Abkhazie vient de commencer, Eka et Natia ont 14 ans. Unies à mort, comme le sont à cet âge les meilleures amies, ces deux jolies jeunes filles ont de la personnalité, un bel abattage, et des rêves de liberté qui cadrent mal avec l'exaltation de la virilité et de la violence qui les entoure. Mais elles ne sont pas prêtes à transiger. Entre les pères en prison, les pères alcooliques, les garçons qui les harcèlent, elle ont fort à faire. Elles les renvoient dans leurs cordes, passent des après-midi entre filles à fumer, parler de sexe, chanter. Quand elles récupèrent un revolver, elles n'hésitent pas à s'en servir, pour protéger les plus faibles.

Sérieuses et discrètes, fières et rebelles, Eka et Natia sont de beaux personnages, et l'interprétation qu'en donnent les deux jeunes actrices (Lika Babluani et Mariam Bokeria) contribue beaucoup au charme du film. Tout va bien pour elles, dans les limites que permet la vie dans un pays en guerre, jusqu'au jour où Natia, celle qui semblait la plus forte des deux, se fait enlever par une bande de garçons, devant une foule qui reste désespérément passive. La séquence d'après montre Natia le jour de son mariage, faisant bonne figure alors qu'elle unit son destin à l'un de ceux qui l'ont enlevée et sans doute violée. Acceptant d'abord son sort, elle va ensuite se révolter.

Filmé en de longs plans-séquences dans lesquels filtre un parfum, une texture, une sensation de la Géorgie des années 1990, le film se déroule, peut-être un peu trop sagement, sur le mode de la chronique quotidienne. Deux splendides scènes toutefois – le chant dans l'appartement, baigné de lumière, et la danse d'Eka au mariage de Natia– l'arrachent à son programme et l'entraînent dans des zones plus poétiques, plus émouvantes, plus intenses.

Le Monde.fr - 26.11.2013