Overblog
Edit post Follow this blog Administration + Create my blog

goude news

Les gens qui veulent détruire ne gagnent pas.

Posted on June 21 2014, 08:10am

Categories: #isabelle goude

Les maçons de Tombouctou -

Le Monde 19 juin 2014 -

En 2012, les djihadistes ont détruit 14 des 16 mausolées sacrés de la " cité aux 333 saints ". La mobilisation internationale permet une reconstruction qui, sur place, renforce un islam tolérant et la cohabitation de différentes communautés.

Du sable à perte de vue, et des monticules de pierres. Voilà tout ce qu'il reste. A Tombouctou, le " cimetière des trois saints " n'est plus qu'un champ de ruines écrasé par la chaleur accablante. Difficile pour le visiteur d'imaginer qu'il y a deux ans trois mausolées d'importance mondiale se dressaient ici. " Regardez leurs fondations ! ", s'exclame Mamadou Koné, en désignant du doigt les décombres. On devine alors au milieu des gravats quelques vestiges de ces constructions sacrées.

Cela fait un an que cet architecte malien de Bamako vient sans cesse au chevet des monuments détruits de Tombouctou. Ce matin-là, face à lui, une délégation d'officiels européens. " Cette reconstruction est aussi un enjeu politique, souligne Andris Piebalgs, commissaire européen au développement, venu confirmer le soutien de 500 000 euros promis par l'Union européenne. Il faut donner à la population ce signal fort : les gens qui veulent détruire ne gagnent pas. "

Les gens qui veulent détruire ne gagnent pas.

Tombouctou, la " cité aux 333 saints ", a été occupée par les djihadistes en 2012 comme le reste du nord du Mali, avant qu'ils soient chassés par l'opération française " Serval ". Leur fanatisme a causé de profonds dommages à la richesse culturelle d'une ville classée au Patrimoine de l'humanité depuis 1988. La " perle du désert ", qui fut un carrefour de l'islam au XVe et au XVIe siècle, est mondialement connue pour ses trois grandes mosquées, mais aussi pour ses mausolées de saints musulmans et ses manuscrits anciens. Une hérésie, pour les salafistes radicaux, qui les ont attaqués à coups de pioche et de burin.

Dans les rues sablonneuses de Tombouctou, aujourd'hui, la vie a repris, sous surveillance. Des contingents de casques bleus patrouillent en permanence. Les échoppes ont rouvert leurs portes. Mais les traces des destructions sont encore partout visibles.

Chef de la mission culturelle de Tombouctou et petit frère du grand imam de la ville, El-Boukhari Ben Essayouti a assisté à la folie destructrice des djihadistes. " En mai, ils ont commencé à arracher des portes-fenêtres de certains édifices, raconte dans une auberge cet homme massif. Les habitants avaient peur et n'ont pas réagi. Alors, le 30 juin et le 1er juillet, ils se sont attaqués aux grands mausolées. "

Les gens qui veulent détruire ne gagnent pas.

En l'espace de quelques mois, 14 des 16 mausolées classés par l'Unesco seront détruits. " Il y a pourtant bien eu une forme de résistance, tient à dire le notable. Chaque fois que ces gens entraient dans une mosquée pour prêcher, les habitants en sortaient. Alors, en représailles, ils détruisaient un édifice. " El-Boukhari Ben Essayouti lui-même essaiera de filmer et de photographier les bas-reliefs menacés de la mosquée de Djingareyber, la plus grande de la ville. Cela lui vaudra une brève arrestation.

Les mausolées n'ont pas été les seuls à subir le joug des occupants. Dans la bibliothèque Ahmed-Baba, l'un des conservateurs, Abdoulaye Cissé, montre les traces de suie toujours visibles au pied d'un poteau. C'est là que les occupants ont brûlé des textes anciens jugés impies. Au total, 4 200 ont été détruits ou ont disparu pendant l'occupation.

Par chance, les islamistes n'ont pas compris que la plupart des manuscrits se trouvaient à quelques rues de là, dans l'ancien centre Ahmed Baba, en attente d'être transférés. Dans des malles, en voiture mais aussi en pirogue, ils ont pu être exfiltrés par des habitants courageux : 350 000 manuscrits ont été mis à l'abri à Bamako.

Une mobilisation internationale s'est rapidement organisée. Dès juin 2012, l'Unesco inscrit Tombouctou sur la liste des sites mondiaux en péril. Fatou Bensouda, la procureure de la Cour pénale internationale, évoque des actes pouvant être qualifiés de " crimes de guerre ". Lors de sa visite dans la ville tout juste libérée, le 2 février 2013, François Hollande est accompagné de la directrice de l'Unesco, Irina Bokova. Le 18 février, une réunion d'experts internationaux pour la sauvegarde du patrimoine de Tombouctou se tient à Paris. Puis des engagements financiers sont pris lors d'une conférence de donateurs à Bruxelles en mai où 3,3 milliards d'euros sont promis au Mali : à côté de l'aide humanitaire, du développement ou encore de la réforme de l'armée figure la restauration du patrimoine culturel.

Un an plus tard, cette mobilisation commence à se traduire dans les faits. A proximité de la mosquée de Djingareyber, les Tombouctiens peuvent de nouveau admirer les deux mausolées, qui jouxtent l'un de ses murs extérieurs, et que les djihadistes avaient pulvérisés. Inaugurés le 14 mars, ils ont marqué le début de la reconstruction du patrimoine culturel de Tombouctou. " C'est un travail délicat ", souligne Mamadou Koné, qui a supervisé la reconstruction des deux édifices.

Une première mission en mai 2013 avait permis de faire un état général des lieux. Avec son équipe, l'architecte a ensuite patiemment fait des relevés architecturaux à main levée des édifices détruits, étape incontournable avant de rebâtir.

Dans ce travail de reconstruction, un personnage joue un rôle central : le maçon. A Tombouctou, chaque mausolée appartient à une grande famille qui a son ou ses maçons, responsables de son entretien mais aussi détenteurs de la connaissance technique et du savoir-faire liés à ces complexes constructions de terre. " Personne ne peut toucher un mausolée ou une mosquée sans eux, souligne Lazare Eloundou, responsable de l'Unesco au Mali, de passage à Tombouctou. Le maçon est celui qui le reconstruit, c'est aussi lui qui lui redonne son caractère sacré. "

Les gens qui veulent détruire ne gagnent pas.

Dans la cour de la mosquée Sankoré, un des bijoux de la ville, Alassane Hassaye ne cache pas son plaisir. Cet homme sans âge, en boubou bleu, est le chef de la corporation des maçons de Tombouctou. Il vient de participer aux deux premières reconstructions de mausolées. Une renaissance. " Pendant tous ces mois, nous n'avons pas pu travailler, raconte-t-il, toutes les cérémonies étaient arrêtées. "

Témoignage de l'âge d'or de la ville, les tombeaux des saints font partie intégrante de la vie des Tombouctiens. On vient s'y recueillir, rendre hommage, implorer une bonne saison des pluies, une aide face aux difficultés de la vie. Le crépissage annuel des mausolées et des mosquées est l'occasion d'une célébration populaire. " Pendant tous ces mois, nous en avons été privés ", répète Alassane Hassaye. Ce rôle social du patrimoine explique en partie la mobilisation mondiale dont a bénéficié Tombouctou.

Ce type de destruction par des fanatiques n'est pas une première : en 2001, les talibans afghans avaient dynamité les bouddhas de Bamiyan. " Mais, pour la première fois, on s'en prenait massivement à des sites liés à la vie quotidienne des gens. S'attaquer aux mausolées, c'était s'attaquer à l'existence même des hommes ", souligne Lazare Eloundou.

Paradoxalement, les destructions subies en 2012 pourraient être une chance pour le Mali. " Notre première idée était de rebâtir à l'identique, explique Mamadou Koné. Mais, au cours de nos missions, nous nous sommes rendu compte qu'il fallait aller plus loin. " Le saccage des édifices a mis au jour des constructions bien plus profondes qu'on ne le pensait. Pour faire face au phénomène d'ensablement, les mausolées ont en effet été surélevés au fil du temps. " Il y en a peut-être autant en dessous qu'il y en avait dessus ", estime l'architecte.

" Avec le choc de cette année 2012, les gens se sont rendu compte de la richesse de leur patrimoine mais aussi de son manque de protection ", souligne de son côté Thierry Joffroy, qui participe au projet. Cet architecte français, fondateur de CRAterre, un centre de recherche spécialisé dans les constructions en terre, connaît bien les richesses du pays.

Outre Tombouctou, trois autres sites maliens sont classés sur la liste du Patrimoine mondial : Djenné, à 600 km au nord-est de la capitale malienne, l'une des cités les plus anciennes d'Afrique subsaharienne ; le tombeau des Askia à Gao, édifié en 1409 ; mais aussi les falaises de Bandiagara, berceau de la culture dogon. Partout, l'entretien des édifices s'est, ces dernières années, considérablement dégradé, en raison de la baisse des revenus du tourisme due aux problèmes de sécurité. " C'est l'occasion de faire un travail de fond sur tout le patrimoine du Mali ", souligne l'architecte. Pour cela, le pays a plusieurs atouts : il s'est doté de missions culturelles locales et dispose de nombreuses compétences dans ce domaine. Sans compter un soutien international substantiel.

Au total, l'Unesco estime à 11 millions de dollars le coût de la restauration de ce patrimoine, sur quatre ans. Trois millions ont été promis. Des sommes extravagantes pour un pays pauvre qui a tant d'autres besoins ? " Les pays du Nord se sont mobilisés pour ce qu'ils considèrent être un patrimoine mondial, reconnaît Lazare Eloundou. Mais les habitants de la ville aussi. "

Au-delà des travaux, la reconstruction est considérée comme un élément-clé de la réconciliation et de la défense d'un islam tolérant qui s'incarne à travers ces traditions culturelles. " Le crépissage des mausolées est un moment où toutes les communautés se retrouvent ", rappelle Lazare Eloundou. " Les Tombouctiens ont été malmenés dans leur croyance, dit Thierry Joffroy. Reconstruire est une façon de leur faire reprendre confiance. " A Tombouctou, les prochains chantiers sont importants : reconstruire l'ensemble des mausolées, créer les conditions d'accueil des manuscrits aujourd'hui stockés à Bamako, réparer les mosquées fragilisées par un attentat-suicide en novembre 2013. Leur réalisation dépendra aussi de l'évolution de la situation sécuritaire au nord du Mali.

Charlotte Bozonnet

Les gens qui veulent détruire ne gagnent pas.
To be informed of the latest articles, subscribe: